Allumant une cigarette, seul le rugissement des vagues déferlantes faisait écho au craquement de l'allumette. Dans la lueur de cette étincelle, elle devinait mes traits tirés et si elle avait essayé de deviner mon âge à ce moment là, elle aurait donné un nombre bien au dessus de la vérité. Dans l’obscurité vacillante, m’extrayant de mon hamac je fis alors face à l’étendue marine. Elle m’observait sans mot dire et je me retournais légèrement vers elle. Aux faibles rayons qui déclinaient pour bientôt plonger dans l’océan, je remarquais que ses yeux n’avaient pas changé. Sans mot dire, je l'invitais à me suivre pour faire quelques pas sur la plage qui s’effaçait, comme absorbée par l’ombre terrestre.
Elle fît un pas dans ma direction et nous allions nous éloigner de la villa, en direction d’une nuit sombre. Nous marchions depuis une dizaine de minutes, côte à côte, sans mot dire. L’obscurité se faisait de plus en plus grande et la villa avait totalement disparu derrière les dunes. « Here are the first stars » dit-elle, dans cette langue qui se voulait universelle, mais qu’entre nous, nous n’utilisions que très peu, seulement lors de nos moments d’incompréhension. Le ciel avait perdu son éclat, si doux, si rassurant et dans une tonalité incolore, il s’assombrissait. L’air était comme suspendu entre nous, l’heure de la plénitude approchait : c’était la nuit.
Son regard était perdu dans cet univers terrestre. « La vision est bonne, nous n’allons pas nous perdre cette nuit », dis-je, levant les yeux vers le ciel où, dans sa tonalité incolore, les premières étoiles se montraient. Autour de nous, des ombres terrestres s'élevaient obscurément et nos visages renvoyaient une faible clarté nocturne. Depuis quelques minutes, le terrain s’était incliné en une douce pente qui nous rapprochait sensiblement des étoiles. « Nous allons y être », dis-je. Régulièrement, dans cette ascension linéaire des choses, nous marchions lentement dans le sable, serpentant entre les arbres. Nous nous arrêtâmes pour admirer les dernières lueurs qui sombraient sous l’horizon. Un souffle venu du sol et des sous-bois, une haleine chargée de pin et des respirations enfouies de l'été, se souleva et s'éleva vers la clarté qui disparaissait. Au ressenti de cette respiration de la terre, je la sentis frissonner. Mais le mystère des pressentiments issus des ombres de la terre me pénétra également, et nous voyageurs passagers, nous étions entourés de ces senteurs mortes qui s’élevaient vers un ailleurs plus lumineux, loin de ce sombre passé. Ici au sommet de cette dune surplombant la cime des arbres secs et rigides, l'air pendait avec précaution, entourant la rigidité des choses. Elle prit ma main, si rigide, avec une délicatesse dont je ne me souvenais pas.